Une fois connecté à votre compte, vous pouvez laisser un marque-page numérique () et reprendre la lecture où vous vous étiez arrêté lors d'une prochaine connexion en vous rendant dans la partie "Gérer mes lectures", puis "Reprendre ma lecture".
Nous avons exposé fort au long les règles du vers de douze syllabes ; il nous reste à dire les genres auxquels il convient.
Le grand vers est consacré à l’épopée ou poème épique, à la tragédie, à la comédie.
On l’emploie plus souvent que tout autre pour la satire, l’églogue, le poème didactique, le discours en vers et l’ancien sonnet.
Il sert aussi pour les stances, l’épître morale, l’élégie, l’épigramme.
Tous les autres vers dont nous allons parler sont soumis aux règles générales de la rime, de l’hiatus, de la succession des rimes. Nous ajouterons les observations particulières qui les concernent.
Le vers de dix syllabes est aussi nommé decasyllabe, pentamètre, ou de cinq pieds.
Césure. — Ainsi que nous l’avons dit, ce vers a une césure obligée après la quatrième syllabe ou le second pied
Que du Seigneur la voix se fasse entendre.
J’ai vu ’impie adoré sur la terre. RAC
Toutes les règles que nous avons données pour la césure du vers de douze, syllabes, sont applicables à celui de dix.
La césure est insuffisante dans’ les vers suivants
Les forêts sont-des grands princes aimées. MAROT.
Pour être à tous tes humains épandue.
Que tout autour de moi tu viens étendre. In.
ENJAMBEMENT. Le vers de cinq pieds est celui que Marot a employé le plus souvent. Ce poète a consacré l’enjambement de deux pieds, ou le rejet de quatre syllabes
D’autant que plus plaisent les blanches roses,
Que l’aubépin, plus j’aimais à sonner
De la musette, et la fis résonner, etc.
Cet enjambement est non-seulement : une des licences, mais un des agréments du style marotique.
Auprès des rois il est de pareils fous :
A vos dépens ils font rire le maître
Pour réprimer leur babil, irez-vous.
Les maltraiter ? Vous n’êtes, pas peut-être
Assez puissant. Il faut les engager
A s’adresser à qui peut se venger : LAFONT
J’ai peu Loué. J’eusse mieux fait encore
De louer moins. Non que pincer sans rire
Soit de mon goût je tiens qu’en fait’ d’écrire,
Le meilleur est de rire sans pincer. Rouss.
Voltaire a manié ce style avec agrément, et a su en reproduire les allures :
Quelle est plus loin cette autre déité ?..
Mais dont l’air noble et la sérénité
Me plait assez. Je vois à son côté
Un sceptre d’or, une sphère, une épée,
Une balance. Elle tient dans sa main
Des manuscrits dont’ elle est occupée.
Tout l’ornement qui pare son blanc sein
Est une égide.
Mais il ne faut pas prodiguer cet enjambement s’il se présentait trop souvent il deviendrait fastidieux.
Remarque Excepté ce cas, tous les autres enjambements, qui seraient condamnés dans levers alexandrin, devront l’être dans celui de dix syllabes.
ACCENTS. Comme le vers alexandrin, le vers de dix syllabes a deux accents principaux, celui de la césure et celui de la rime.
Il a de plus accent mobile, qui se place dans la seconde partie, sur la sixième, la septième ou la huitième syllabe[1]
J’ai vu l’impie adoré sur la terre. RAC.
Ma vie à peine a commencé d’éclore.
Et nous-portons la peine de leurs crimes. la.
La première partie du vers a quelquefois deux accents, mais plus souvent un seul.
SA NATURE, SON EMPLOI.
Le vers de dix syllabes n’offre pas les mêmes ressources que le vers alexandrin pour les coupes, les suspensions, en général les effets qui tiennent au rythme ; mais il est sauvé de la monotonie par l’inégalité de ses deux hémistiches. Moins majestueux que le vers de douze syllabes, il a sur lui l’avantage d’un mouvement plus vif et plus pressé dans le passage d’un vers à l’autre, et par là il semble mieux convenir à la poésie familière et légère[2]. On peut l’employer dans les épîtres, les contes, les ballades, les rondeaux, les élégies, les épigrammes. Les stances, les odes, les chansons, les satires et les sonnets.
Quelques poèmes didactiques, du dix-huitième siècle sont écrits en cette mesure.
Voltaire en a aussi fait usage dans plusieurs comédies.
Le vers de neuf syllabes est peu usité, quoiqu’il ne manque pas d’harmonie.
Il a une césure obligée après la troisième syllabe :
Belle Iris, malgré votre courroux,
Si jamais vous revenez à vous,
Vous rirez ; et j’engage ma foi
Qu’aussitôt vous reviendrez à moi. CHARLEVAL.
On ne se doute guère que Racine ait fait des vers de neuf syllabes. On en trouve cependant quelques-uns dans son Idylle ~nr Paix
De ces lieux l’éclat et les attraits,
Ces fleurs odorantes,
Ces eaux bondissantes,
Ces ombrages frais,
Sont des dons de ses mains bienfaisantes.
De ces lieux l’éclat et les attraits
Sont les fruits de ses bienfaits.
Enfin on lit les vers suivants dans Voltaire :
Des destins la chaîne redoutable
Nous entraîne à d’éternels malheurs ;
Mais l’espoir, à jamais secourable,
De ses mains viendra sécher nos pleurs.
Dans nos maux il sera des délices
Nous aurons de charmantes erreurs ;
Nous serons au bord des précipices,
Mais l’Amour les couvrira de fleurs.
Le vers de huit syllabes, qu’on nomme quelque fois vers de quatre pieds, et tous ceux qui en ont un nombre moindre, ne sont pas soumis à la règle de la césure.
Il est un de nos plus anciens mètres ; on le trouve dans la plupart des vieux romans, conte set fabliaux. Il se prête à tous les tons il sert l’épître (sérieuse ou badine), à la poésie descriptive, à l’ode, aux stances, à l’élégie, au conte, à la chanson, a l’épigramme, au rondeau. Il semble moins convenir à la ballade et au sonnet.
Dans les genres qui n’ont pas de repos exigés après un certain nombre de vers, comme Us le sont dans les stances, les odes et les chansons, le vers de huit syllabes peut se construire en périodes longues et pleines de nombre.
On en jugera par cet exemple de Bernis :
J’espérais que l’affreux Borée
Respecterait nos jeunes fleurs,
Et que l’haleine tempérée
Du dieu qui prévient les chaleurs
Rendrait à la terre éplorée
Et ses parfums et ses couleurs ;
Mais les nymphes et leurs compagnes
Cherchent les abris des buissons ;
L’hiver, descendu des montagnes,
Souffle de nouveau ses glaçons,
Et ravage dans les campagnes
Les prémices de nos moissons.
Rentrons dans notre solitude,
Puisque l’aquilon décharné
Menace Zéphyre étonné
D’une nouvelle servitude ;
Rentrons, et qu’une douce étude
Déride mon front sérieux.
Vous, mes Pénates, vous mes dieu :
Écartez ce qu’elle a de rude,
Et que les vents séditieux
N’emportent que l’inquiétude,
Et laissent la paix en ces lieux.
Gresset surtout possède l’art de soutenir d’une
manière harmonieuse et variée une phrase qui a de l’étendue :
Des mortels j’ai vu les chimères :
Sur leurs fortunes mensongères
J’ai vu régner la folle erreur ;
J’ai vu mille peines cruelles
Sous un vain masque de-bonheur, Mille petitesses réelles
Sous une écorce de grandeur !
Mille tachetés infidèles
Sous un coloris de candeur
Et j’ai dit au fond démon cœur :
Heureux qui, dans la paix secrète
D’une libre et sûre retraite,
Vit ignoré, content de peu,
Et qui ne se voit point sans cesse
Jouet de l’aveugle déesse,
Ou du de l’aveugle Dieu !
Le vers de sept syllabes se ’vers de trois pieds et demi. Ses attributions sont peu près les mêmes que celles du précédent. Il convient surtout à l’épitre familière, ! Au compte, à l’ode, à la chanson.
La Fontaine a fait plusieurs fables en vers de sept syllabes. Voici le commencement de celle qui a pour titre, Jupiter et ~le tonnerre
Jupiter, voyant nos fautes,
Dit un jour du haut de ses airs ; :
« Remplissons de nouveaux hôtes L
es cantons de l’univers
Habités par cette race
Qui m’importune et ne lasse.
Va-t’en, Mercure, aux enfers ;
Amène-moi la Furie
La plus cruelle des trois. »
Race que j’ai trop chérie,
Tu périras cette fois.
Jupiter ne tarda guère
A modérer son transport.
0 vous, rois, qu’il voulut faire
Arbitres de notre sort,
Laissez, entre la colère
Et l’orage qui la suit,
L’intervalle d’une nuit.
Chaulieu a su mettre dans ce vers, comme dans celui de quatre pieds, l’élégance et l’harmonie :
Mais où suis-je ? quelle ivresse
Hors de moi m’a transporté ?
Quel bruit ! quel cri d’allégresse,
Sur l’aile des vents porté,
Vient de frapper mon oreille
Je vois du port de Marseille
Tout le pompeux appareil,
Et nos galères parées
Faire briller au soleil
Leurs magnifiques livrées.
J’entends ces reines des mers
Des cris de mille coupables
Et de ces voix misérables
Former de charmants concerts,
Je le vois ; sur sa galère
Ce général est monté[3]
Déjà son humanité
Dans le sein de la misère Fait renaître la gaité.
Ce demi-dieu secourable
Vient, dans un séjour affreux,
D’un arrêt irrévocable
Consoler les malheureux,
Sûrs que son cœur pitoyable
De leurs maux se touchera,
Et que, sensible à leurs peines,
Ne pouvant briser leurs chaines,
Sa main les relâchera.
Le vers de six syllabes, ou de trois pieds, se joint ordinairement à de plus grands vers.
Félicité passée
Qui ne peut revenir,
Tourment de ma pensée,
Que n’ai-je, en te perdant, perdu le souvenir ? BERTA
Je tomberai comme une fleur
Qui n’a vu qu’une aurore.
Hélas ! si jeune encore,
Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur ? RAC.
Dans les odes, on le voit fréquemment entremêlé avec de plus longs mètres
Mais elle était du monde où les plus belles choses
Ont le pire destin ;
Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin. MALH.
On le trouve tout seul dans le genre lyrique :
Suivons partout ses pas.[4]
On ne peut la connaitre
Les pas de la Vertu.
Sans aimer ses appas.
Le bonheur ne peut être
Où la Vertu n’est pas. QUINAULT
La poésie légère, qui offre souvent le vers de sept syllabes et celui de cinq, n’emploie guère celui de six. La raison en est, je pense, que le vers de trois pieds forme un hémistiche de l’-alexandrin et trompe l’oreille par cette ressemblance.
Le vers de cinq syllabes, on ’de ’deux ’pieds’ et demi, est, comme nous l4avons dît, ’plus usité que celui de trois pieds.
On le joint à des mètres plus longs, ou bien on l’emploie seul. Dans les deux cas, il souvent destiné à la musique.
Dieu descend, et revient habiter parmi nous
Terre, frémis d’allégresse et de crainte ;
Et vous, sous sa majesté sainte,
Cieux, abaissez-vous RAC.
On le-trouve fréquemment dans Quinault
Chantons tour à tour
Dans ces lieux aimables,
Les dieux favorables y font leur séjour ;
Les seuls traits d’Amour
Y sont redoutables.
Chantons tour à tour Dans ces lieux aimables.
Rousseau l’a employé avec bonheur dans sa cantate de Circé :
Sa voix redoutable Trouble les enfers ;
Un bruit formidable
Gronde dans les airs ; Un voile effroyable
Couvre l’univers ; La terre tremblante
Frémit de terreur ;
L’onde turbulente Mugit de fureur ;
La lune sanglante Recule d’horreur.
On s’en sert aussi dans des pièces de longue haleine, particulièrement du genre descriptif. Madame Deshoulières l’a choisi pour son idylle allégorique, que tout le monde connaît :
Dans ces prés fleuris
Qu’arrose la Seine, Cherchez qui vous mène,
Mes chères brebis. J’ai fait pour vous rendre
Le destin plus doux,
Ce qu’on peut attendre
D’une amitié tendre ;
Mais son long courroux
Détruit, empoisonne Tous mes soins pour vous ;
Et vous abandonne
Aux fureurs des loups.
Seriez-vous leur proie,
Aimable troupeau,
Vous de ce hameau
L’honneur et la joie ? etc.
A mesure que nous avançons, les mètres vont devenir d’un usage de plus en plus rare.
Le vers de quatre syllabes, ou de deux pieds, s’emploie tantôt seul, et tantôt se mélange avec de plus grands vers. Il convient au genre lyrique et au genre familier :
Rompez-vous faire,
Tribus captives ;
Troupes fugitives
Repassez les monts et tes mers. RAC.
La Fontaine, qui a employé toutes les mesures, offre quelques vers de deux pieds.
Quand la perdrix
Voit ces petits
En danger, et n’ayant qu’une plume nouvelle.
La pièce de Bernard intitulée le hameau est en vers de quatre syllabes
Rien ici beau
Mon hameau
O quelle image
Quel paysage
Fait pour Watteau ![5]
Mon ermitage
Est un berceau
Dont le treillage
Couvre un caveau.
Au voisinage,
C’est un ormeau,
Dont le feuillage
Prête un ombrage
A mon troupeau ;
C’est un ruisseau
Dont l’onde pure
Peint sa bordure
D’un vert nouveau.
On le trouve d’ordinaire mélangé à de plus grands vers :
La cigale ayant chanté
Tout l’été LAFONT
Même il m’est arrivé quelquefois de manger Le berger.ID.
Ce mètre se trouve très-rarement employé seul. On va le voir dans une petite pièce adressée par Bertaut à maître Adam :
Maitre Adam,
A ton dam[6]
Si bientôt
De Bertaut
Tu ne vois
Le minois.
Le prix fait
D’un buffet
Ne vaut pas Un repas
Tel qu’ici
Sans souci
Tu l’auras,
Et verras
Des garçons
Sans façons,
Qui des vers
De Nevers[7]
Aiment bien
L’entretien.
Le rabot
N’est qu’un sot
Près d’un vin
Tout divin.
Laisse là
Tout cela ;
Hâte-toi,
Et crois-moi.
Maître Adam a fait lui-même une pièce de cette mesure, laquelle a plus de cent vers.
Ce vers, plus rare encore que les précédents, s’entremêle avec de plus grands mètres :
Nous pouvons nous rendre sans bruit
Au pied de ce château dès la petite pointe
Du jour.
La surprise à l’ombre étant jointe,
Nous rendra sans hasard maîtres de ce séjour. La Font.
Que les champs libres on leur laisse
Un peu,
Je gage
Qu’on verra, s’ils sortent de cage,
Beau jeu. Id.
On le trouve quelquefois seul dans des couplets :
J’aimai
Fatmé ;
Zulma
M’aima ;
Mais j’ai
Changé
Vingt fois
De lois. Servière.
§ II. Vers d’une syllabe.
Le vers d’une syllabe ou monosyllabe ne se trouve guère qu’entremêlé avec de plus grands mètres, dans des chansons badines. Marmontel cite ces vers :
Quand il est venu,
Comme un enfant inconnu,
Nu…
Mon crédule cœur
N’a point de ce dieu trompeur
Peur…
Depuis ce jour-là
Ce feu caché me brûla
Là.
On est étonné de l’aisance avec laquelle Panard place des vers monosyllabes :
Et l’on voit des commis
Mis
Comme des princes,
Qui jadis sont venus
Nus
De leurs provinces.
[1] La seconde partie de ce vers étend exactement un hémistiche de l'alexandrin, ce qui a été dit sur les accents de ce dernier est applicable ici
[2] Marmontel
[3] Le duc de Vendôme
[4] Les pas de la vertu
[5] Célèbre peintre paysagiste
[6] ce sera ton préjudice, tu perdras
[7] c'est-à-dire les verres de Maître Adam, qui était de Nevers