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L’intégrale des Claudine, de Colette
Claudine en ménage : chapitre 30

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Toute ma journée s’écoule à chercher, pas à pas, miette à miette, mon enfance éparse aux coins de la vieille maison ; à regarder, aux barreaux de la grille qu’a tordue la glycine puissante, changer et pâlir, puis violacer au loin la montagne aux Cailles. Les bois drus, d’un vert opaque et plein qui bleuit vers le soir, je ne veux les aimer que demain… Aujourd’hui, je panse mon mal, je le dorlote à l’abri. Trop de lumière, trop de vent pur, et les vertes ronces fleuries de rose pourraient effilocher l’ouate légère de guérison où s’enveloppe mon chagrin meurtri.

Dans le soir rougeoyant, j’écoute s’endormir le bienveillant jardin. Au-dessus de ma tête zigzague le vol noir et muet d’une petite rate-volage [1]… Un poirier de Saint-Jean, pressé et prodigue, laisse tomber un à un ses fruits ronds, flogres aussitôt que mûrs, et qui entraînent dans leur chute des guêpes tenaces… Cinq, six, dix guêpes au trou d’une petite poire… Elles tombent en continuant de manger, en battant seulement l’air de leurs ailes blondes… Ainsi battaient, sous mes lèvres, les cils dorés de Rézi…

Je n’ai pas tressailli, au souvenir de la traîtresse amie, avec le repliement douloureux que je redoutais. Celle-là, ah ! je me doutais bien que je ne l’aimais pas…

Tandis que je ne puis, sans un cruel sursaut, sans joindre les mains d’angoisse, évoquer la grande taille de Renaud debout dans l’ombre de la chambre fleurie, guettant ma décision, ses tristes yeux craignant l’irréfutable…

— Ma Nonore, une dépêche pour toi !

(C’est trop à la fin ! Je me retourne menaçante, prête à détruire le papier bleu).

— Y a une réponse payée.

 

Je lis : Prière instante de donner nouvelles santé.

… Il n’a rien osé de plus. Il a songé à papa, à Mélie, à Mlle Mathieu, la directrice des postes. J’y songe aussi, moi, en répondant : Voyage excellent. Père en bonne santé.

 


  1. Chauve-souris.
Publié le 20/04/2025 / 22 lectures
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