Le village, que dis-je le canton, ne parlait que de ça. Un infanticide, ici, chez nous. Bon, infanticide, il faut le dire vite. La victime avait 75 ans et la meurtrière se dirige vers son centenaire. Ça n'avait donc pas le tragique des faits divers dont nous abreuve la télé. D'ailleurs en parlant d'abreuvoir c'est là que ça s'était passé. Personne n'avait vraiment compris les circonstances exactes. Mme mère avait été retrouvée somnolante sur le parterre marquant l'entrée de la maison. Elle tenait dans ses bras un corniaud galeux visiblement décédé. Plus loin, le fameux abreuvoir, qui n'avait plus été utilisé par une vache depuis longtemps. Il hébergeait maintenant quelques poissons rouges. Mais pour l'instant, il servait de cercueil à monsieur fils. Sauf que l'on met rarement les défunts la tête vers le bas et le visage dans l'eau. Le saugrenu ne s'arrêtait pas là, on avait méticuleusement cloué une feuille de papier A4 dans le dos de la victime. Avec 4 vrais clous d'acier. Sur la feuille on pouvait lire en lettres capitales maladroites : "J'AI TUÉ LE CHIEN DE MA MÈRE".
L'adjudant Carpentier scrutait la scène, le regard angoissé. Qu'allait-il pouvoir écrire sur ce satané rapport. On allait se foutre de lui. Traîner Mme mère, qui aurait alors fêté ses 100 ans, devant une cour d'assises. C'était la gloire assurée. Mais dans les recueils des affaires improbables et cocasses.
Alors il arracha le placard accusateur et preuve à charge. Pour son rapport il inventerait un rôdeur. Un crime de rôdeur on savait pas trop ce que c'était mais ça suffirait largement comme conclusion. Ce serait son secret.