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« Kan ga roo ! » répondit-il, ce qui, dans le langage des peuplades de cette lointaine contrée, proche puisque j'y étais, signifiait :

« je ne sais pas ! »

Ou encore :

« je l'ignore ! »

Je ne pouvais, raisonnablement, reprocher au naturel qu'il refuse de me divulguer ce qui, une fois dévoilé, ne serait plus un secret. La prudence n'est-elle pas de ne révéler à un étranger que ce qu’il sait déjà ? Il ignorait la cause de ma curiosité et était donc pardonnable. Se doutant, sans doute, que j’'insisterai s'il restait, il préféra s'éclipser.

Je me retrouvai, seul, au milieu d'une vaste étendue désertique qui avait accepté de faire de moi, individu, le centre de son univers. À sa grande déception, je brisai l'honneur qui m'était fait, continuant ma route….

Le soleil se levait à présent : à l'ouest ! D'abord surpris par ce phénomène, inverse d'une habitude bien ancrée, je fus vite rassuré ,ayant pris conscience de la position géographique dans laquelle ce territoire se trouvait placé :

Le soleil se levait à l'ouest parce que j’avais la tête en bas !

À mesure que les rayons de l'astre qui nous domine frappaient le sol, la végétation se levait, sortait de terre, tantôt luxuriante, tantôt modeste. Pour comble de malchance, je me trouvai pris dans une étendue de roseaux. Néanmoins, j'essayais de progresser du mieux que je pouvais, ce qui, croyez-moi si vous le voulez, n'était pas chose aisée, car, lorsque j'écartai quelques-unes de ces flûtes brutes pour me frayer un passage décent, les autres me criaient, d'un ton narquois : « je plie mais ne romps pas ! Je plie mais ne romps pas ! », phrase suivie d'une bordée d'injures adressées à l'intrus et que seul le respect que j'ai de moi-même m'empêche de reproduire.Cependant, ces paroles étaient si empreintes de certitude que j'y croyais presque et, découragé uninstant, je faillis renoncer à un projet que je considérais déjà comme hasardeux. Par bonheur, ma volonté me dicta la persévérance. J'obéis !

Sous les insultes donc, je progressai, par paliers, écartant patiemment cette foule immobile et trop bruyante. Je ne prêtai bientôt plus attention à toutes leurs médisances. Peut-être aurais-je dû ! Non, je ne regrette rien !

Le soleil était maintenant au zénith et frappait très fort sur mon crâne, comme pour me dissuader de poursuivre. Je n'en avais cure, mais, conscient d'un vide physique, je m'arrêtais un instant pour savourer quelques miettes de cet excellent gâteau que j'avais pu me procurer, à prix d'or, au poste de la dernière frontière. Il n'en restait plus ! Je repris ma marche, n'arrivant cependant à arracher à mon ventre entêté idée de la faim....

Le soleil s'enfoncait dans le ciel en même temps que les roseaux s’étriquaient. Brutalement, les étoiles s'allumèrent et tous les insectes chantèrent ! Je fus d'abord effrayé par cette aberration qui, en d'autres lieux, eut relevé directement du cerveau artificiel d'un ordonnateur de spectacle en sons et lumières. Je me rassurai vite : la nuit, tous les hémisphères ne se ressemblent pas !

Revenant aussitôt à des considérations moins universelles, je pensais qu'il était plus que temps de prendre un repos qui serait moins destiné à donner libre cours à mon inconscient qu'à anéantir la fatigue d’un long parcours. Je me mis en quête d'un site adéquat...

Après quelques brefs instants d'une recherche impatiente, je trouvais le refuge idéal : un entre-deux rocher près d'un étang qui, s'il fallait en croire certains bruits, était poissonneux. Je pourrais, en plus, me nourrir !

Passionné par tous ces mouvements d’eau, je m'approchais du bord pour composer le menu. Je ne pris garde, tout d'abord, concentré que j'étais sur l'odeur future du poisson grillé, à une grosse mouche bleue qui me survolait sans cesse. Au bout d'un moment, excédé par l'intérêt qu'elle me portait, je la happai d'un coup de langue, puis, après l'avoir laborieusement enduite d'une bave acide, je l’avalai.Ce n’est qu’ensuite qu’à ma grande joie,je compris.J’avais enfin réussi : je m’étais intégré !


 

Marcel nous a quitté le 29 avril 2020 et c’est avec l’accord de son épouse et avec le souvenir de tous ses amis que nous sommes très heureux et émus de continuer à faire connaître ses textes et son talent que vous retrouverez sur ce compte. N’hésitez pas à vous y abonner, à partager ses textes, et à laisser des commentaires pour faire perdurer ses textes et son souvenir.


Publié le 09/11/2024 / 2 lectures
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