La pluie tombait, si dense qu'il était impossible de déterminer si elle jaillissait du sol ou descendait du ciel. Il n'y avait, est-il besoin de le dire pas âme qui vive. Cette impression de désert était accentuée par le fait qu'aucune lueur ne brillait derrière ce qui pouvait être les fenêtres de ces constructions au corps de briques et toits d'ardoise.
Les rues grises semblaient tracées en trompe- l'oeil dans une atmosphère à peine moins grise. À gauche était le champ d'oliviers dont les arbres semblaient des corps pétrifiés, étendant leurs membres tordus en direction des cieux. Et toujours ce martèlement de la pluie qui frappait à la porte, tambourinait sur les vitres.
J’allumais ma vingtième cigarette. La lueur de l'allumette redonna son éclat doré au candélabre de cuivre, perdu dans l'obscurité de la pièce principale. La nuit retomba, en même temps que l'allumette s'éteignit. Je me plaçai vers le lieu supposé du miroir et tirai sur ma cigarette, dont le bout incandescent éclaira mon visage dans le miroir. « Toujours ce derme en écailles de tortue ! », constatai- je.
J'étais sans doute un peu dur avec l'apparence de moi-même. En réalité, la situation s'était améliorée ! La carapace de derme durci qui recouvrait mon corps s'était pratiquement étiolée. Seules subsistaient quelques traces rosacées, vestiges d'un désordre passé. Je redevenais lisse !
« Sauf rechute ! », avait prédit le marabout. « Ne vous grattez pas, et dans deux ans, il n'y paraîtra plus ». Je ne m'étais pas gratté depuis lors, mais la lame ébréchée de mon rasoir valait grattage, ce qui expliquait l’état de mon visage,caractérisé par des lésions érythémateuses très prurigineuses, suintantes et mal limitées et par une perte des fonctions protectrices de la peau, laissant pénétrer des agents sensibilisants, responsables des lésions.
Ma mère me rassura. « Mon fils, tu n'as aucune ride ! » « À toute chose malheur est bon ! », Répondis- je.
« Qui parle de malheur ! ».
Mais, quelle idée de ne pas sortir parce qu'il pleuvait. Il fallait s'aérer, il fallait s'unir à la mère nature, et en profiter pour acheter des cigarettes. Mais, le tabac était-il ouvert ? Le parti était pris. Je me débarrassai de tous mes vêtements, saisi d'une frénésie salutaire, les jetant au hasard, de ci de là, ouvris la porte et me précipitai à l’extérieur. La pluie avait cessé . Tout le monde me regardait.
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Marcel nous a quitté le 29 avril 2020 et c’est avec l’accord de son épouse et avec le souvenir de tous ses amis que nous sommes très heureux et émus de continuer à faire connaître ses textes et son talent que vous retrouverez sur ce compte. N’hésitez pas à vous y abonner, à partager ses textes, et à laisser des commentaires pour faire perdurer ses textes et son souvenir.