Je viens de terminer « Americanah » de Chimamanda Ngozi Adichie ; un livre formidable sur la question raciale et la perception qu’en ont les Noirs Américains du point de vue d’une Nigériane vivant en Amérique.
J’avoue qu’il m’a éveillé à la question raciale en Amérique. Il m’a fallu ce mois-ci pour le lire. J’ai ouvert le livre il y a six mois, j’ai essayé de lire les cinq premières pages et je me suis arrêté. Je l’ignorais à l’époque mais je le sais maintenant : je n’étais pas prêt.
Je lis des livres pour qu’ils me tendent un miroir, me permettant de me voir. Ce livre m’a montré à quel point j’étais mal à l’aise d’aborder la question raciale en tant qu’adulte. Et il m’a fait prendre conscience de mon aveuglément face à mes propres expériences raciales. En traversant ce miroir, j’ai réalisé que j’avais peur de révéler l’impact de la question raciale sur ma vie.
L’héroïne du livre, Ifemelu, se rend en Amérique en quête d’une vie meilleure. Dans sa ville natale du Nigeria, la question raciale n’est pas un problème. Mais dès son arrivée en Amérique, elle réalise à quel point la couleur de sa peau la rend noire aux yeux de tous, qu’elle soit africaine ou américaine.
Au début du roman, elle est à Princeton et vit aux États-Unis depuis treize ans, mais envisage de retourner au Nigéria. On y découvre des passages sur sa vie aux États-Unis et son enfance. Enfant, elle avait un franc-parler, ce qui lui a parfois valu des ennuis. Elle conserve ce même caractère à l’âge adulte. Son enfance n’a pas été facile. Son père avait perdu son emploi de douze ans, refusant d’appeler sa patronne « maman », et n’avait pas réussi à en trouver un autre. La famille dépendait des revenus de sa mère, directrice adjointe. La famille louait un appartement et avait maintenant du mal à payer le loyer, à tel point que le propriétaire frappait à la porte pour réclamer son argent. Ifemelu avait grandi avec une femme qu’elle appelait Tante Uju. Uju n’était pas sa tante, mais la cousine de son père. Elles étaient très proches. Uju était partie étudier la médecine. Un jour, lors d’une fête, elle rencontra un général. Il s’éprit d’elle et, comme elle avait du mal à trouver du travail, il la logea et la garda. (Il était, bien sûr, marié.) Uju réussit à obtenir de l’argent du général pour payer les arriérés de loyer de son cousin et de sa famille. Lorsqu’elle tomba enceinte, le général continua de subvenir à ses besoins et à ceux de son fils, Dike (du nom du père d’Uku). Le général assista au premier anniversaire de Dike, mais fut tué dans un accident d’avion une semaine plus tard. On ignore s’il s’agissait d’un accident ou d’un assassinat politique. La famille de sa veuve se rendit immédiatement à l’appartement d’Uju et tenta de la chasser.
Le plus important de l’adolescence d’Ifemelu fut sa rencontre avec Obinze. À son école, il fréquentait le milieu branché et un ami commun avait prévu de lui présenter la meilleure amie d’Ifemelu, la très séduisante Ginika. Cependant, lorsqu’ils se sont rencontrés, il s’est pris d’affection pour Ifemelu, car, bien que moins jolie que Ginika, elle avait plus de personnalité. Malgré quelques hauts et bas, notamment des différences de goûts littéraires (il ne lit que la littérature américaine, qu’elle n’apprécie pas), ils sont restés ensemble, allant même jusqu’à fréquenter la même université, l’Université du Nigéria, où Adichie a étudié et où ses parents ont travaillé. Elle s’est rapprochée de la mère d’Obinze, qui leur a donné des cours sur la contraception. Ifemelu parvient à obtenir une place dans une université américaine et part. Obinze prévoit de la rejoindre plus tard, lorsqu’il aura obtenu un visa, ce qu’il ne peut pas faire.
Cependant, les choses ne se passent pas bien pour Ifemelu. Elle ne trouve pas de travail et n’a pas d’argent. Tante Uju, qui vit maintenant aux États-Unis, parvient à l’aider un peu, mais, mère célibataire, elle n’a pas les moyens, même lorsqu’elle emménage chez Bartholomew, un Nigérian comme lui, toujours à la recherche d’un emploi. Les choses tournent si mal qu’elle devient dépressive et refuse de répondre aux appels téléphoniques d’Obinze ou à ses e-mails. Tous deux s’égarent dans leurs relations. Ifemelu a une liaison avec le cousin riche (blanc) de la femme qui finit par lui trouver un emploi de baby-sitter, tandis qu’Obinze parvient à rejoindre l’Angleterre, mais ne trouve un bon emploi que lorsqu’il est expulsé vers le Nigéria. Il se marie également à Kosi.
Pendant ce temps, nous suivons les derniers jours d’Ifemelu aux États-Unis. Elle avait bénéficié d’une bourse à Princeton, qui touchait à sa fin. Elle vivait depuis trois ans avec Blaine, un Afro-Américain qu’elle quitte sans ménagement, à son grand dam. Elle tient un blog intitulé Raceteenth ou Observations diverses sur les Noirs américains (ceux autrefois connus sous le nom de Nègres) par un Noir non américain, dont on trouve des extraits très amusants avec des titres tels que « Les cadres intermédiaires blancs mal habillés de l’Ohio ne sont pas toujours ce que vous pensez » ou « Tous les Américains blancs à dreadlocks ne sont pas à la hauteur ».
En effet, l’un des nombreux aspects intéressants de ce livre réside dans ses observations, à la fois sur le blog et dans le récit, sur les différences entre les Afro-Américains et les Africains installés aux États-Unis. (Le terme « Americanah », soit dit en passant, est une expression utilisée par les Nigérians pour décrire une personne née dans leur pays mais qui, après un séjour plus ou moins long en Amérique du Nord, s’est transformée en une parfaite Américaine, oubliant (ou du moins faisant semblant de l’oublier) la façon de parler, de manger et de vivre de son pays d’origine). On en trouve une excellente illustration lorsqu’elle va se faire tresser et que le coiffeur est malien. Ifemelu y consacre plusieurs chapitres. Le blog est un élément de plus qui disparaît lorsqu’elle décide de quitter les États-Unis. Les Africains semblent changer lorsqu’ils vont aux États-Unis. Les femmes nigérianes sont venues en Amérique et sont devenues sauvages, a écrit un comptable igbo du Massachusetts dans un article ; une vérité désagréable, mais qui devait être dite. Qu’est-ce qui explique les taux de divorce élevés parmi les Nigérians aux États-Unis et les faibles taux parmi les Nigérians au Nigeria ?
Est-ce à cause d’Obinze que ce retour a eu lieu ? Elle lui avait envoyé un courriel lorsqu’elle avait décidé de rentrer. Elle attendait sa réponse avec impatience et, comme nous l’avons appris, il était impatient d’avoir de ses nouvelles. Il était devenu un homme d’affaires prospère, pas entièrement par des moyens légitimes, et était marié et père de famille. Mais, bien que cette histoire soit une histoire d’amour (amour gagné, amour perdu, amour retrouvé), sa grande force réside dans son abord de la question raciale. Il existe de nombreux excellents romans afro-américains sur la question raciale… Il en existe bien sûr bien d’autres, notamment des romans sur la race et le racisme, écrits par et concernant d’autres groupes ethniques. Cependant, ce roman sera certainement considéré comme l’un des meilleurs sur le sujet, non seulement parce qu’il aborde la question du racisme aux États-Unis avec tant d’intelligence et d’humour, mais aussi parce qu’il aborde la question raciale entre Afro-Américains (c’est-à-dire les Noirs nés aux États-Unis) et les Afro-Américains (c’est-à-dire les Noirs nés en Afrique qui émigrent aux États-Unis).
Pour conclure, c’est un superbe roman, mais, du moins pour moi, sa force ne réside pas dans l’histoire d’amour, aussi bien racontée soit-elle, mais dans la manière dont il traite habilement la question raciale.
« On ne peut pas écrire un roman honnête sur la race dans ce pays », dit Shan, la sœur de Blaine. Cependant, l’auteure a écrit un roman très honnête sur la race. Americanah est sans conteste le meilleur livre que j’ai lu ce mois-ci. Je vous explique : le succès de ce livre réside en ce que son auteure maîtrise parfaitement les arts du langage et de la narration. Elle ne se contente pas de nous instruire ; elle exerce son art, à lire absolument, quelle que soit votre race ou votre nationalité.
Les personnages sont écrits avec une profondeur qui mérite qu’on s’y attarde : gris, déconstruits et attachants. J’ai adoré la spontanéité et la franchise d’Ifemelu, le calme et la réflexion d’Obinze, et leur familiarité. J’aime tous les personnages, écrits avec une simplicité si attachante qu’elle en devient presque un miroir. Il y a Curt – l’évadé, Blaine – le prudent et bienfaiteur, et sa sœur Shan – sa muse. Une multitude de personnages illustrent les effets de la race sur les gens : Dike, le cousin d’Ifemelu, qui a du mal à accepter d’être un adolescent noir aux États-Unis, Emenike, l’ami d’Obinze, qui masque son insécurité par des convenances sociales – tous si étroitement liés et si bien ficelés.
J’ai hâte de lire certains des anciens romans de Chimamanda Ngozi Adichie ainsi que tout ce qu’elle prépare pour la prochaine sortie.