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Il a quand même été sacrément malin et doué, ce Diégo, pour arriver à me convaincre de l’accompagner à l’île Maurice ! Il sait pourtant à quel point les plages et le tourisme tropicaux m’ennuient au plus haut point ! Ti-punchs et noix de coco de mille façons, c’est bon… j’ai plus que donné dans ma vie caribéenne ! Farniente, bronzette, plouf-plouf et bouffe, ce n’est vraiment pas pour moi, ni pour Diégo d’ailleurs. Heureusement, nous n’irions pas là-bas pour ça... si j’ai bien compris le très peu qu’il m’a dit.
Il est bien resté secret sur l’objectif de ce voyage, mais comme toujours entre nous, on évite les questions ; reliquats de nos missions, quand nous étions… « agents de terrain », sans doute ! Seule compte la confiance inébranlable que nous avons l’un en l’autre, jamais trahie. Alors, quand il m’a parlé de « trésor », en y mettant des guillemets… j’ai souri, juste souri sans dire que trésor et Diego c’est plutôt du registre du gag. Diégo au pays des merveilles… ça serait bien une première.
— Plutôt inhabituel de ta part, de mettre des guillemets, lui avais-je simplement dit.
— J’ai mes raisons. Ce n’est pas moi qui ai parlé le premier de trésor, mais ton grand-père.
— Mon grand-père ? Mais je n’ai pas connu de grand-père ! Du côté de ma mère, il s’est tiré une balle dans le crâne avant ma naissance, et du côté de mon père j’avais 6 ans quand il est mort je ne sais trop où.
— Lui s’est souvenu de toi, et tu avais plus de 6 ans quand il est mort, puisque je l’ai rencontré.
— Oh, merde, Diégo. Tu vas me sortir quoi, encore ? Et qu’est-ce que j’ai à en faire de ce grand-père ? S’il t’a rencontré, il pouvait bien me rencontrer aussi, non ? Donc c’est…
— Chuuuuut ! Tu sauras. Mais plus tard, m’avait-il dit en me barrant la bouche d’un doigt.
Diégo ne me ment jamais parce que nous ne pouvions nous mentir. C’était la règle absolue dans notre job. Ça l’est resté depuis. Par contre, les silences et les non-dits… Mais bon, ils sont éclaircis plus tard ! Sauf que là, c’est très gros pour être avalé. Trésor ? Grand-père ?
Pourtant, sans doute est-ce à ce moment que m’est revenu à l’esprit qu’à Maurice, faute de grand-père il y a bien ce qui est pour moi un trésor, en tout cas un de ceux qui me passionnent et après lequel je cours sans cesse dans mes temps de repos.
Du coup, c’est lui qui a esquissé un large sourire quand je lui ai dit « okay pour le voyage, parce que moi aussi j’ai un trésor à te faire découvrir » !
Tout à me remémorer la naissance de cette étrange épopée qui démarre ici, maintenant, dans la salle des pas perdus du terminal 1, je ne remarque pas la grosse valise qui m’arrive droit dessus, mal dirigée par une bien trop petite fille.
— Oh pardon monsieur !
— Mais ce n’est pas grave du tout. Tu es toute seule ?
— Non, je vais rejoindre mon papa, là-bas, au guichet. Et toi ?
— Ici, à l’aéroport de Barcelone, je suis seul, mais je vais comme toi à Paris, pour retrouver un ami avec qui je prendrais un autre vol, qui nous emmènera loin.
— Sans valise ?
— Sans valise, mais avec un sac de cabine.
— Tu as de la chance, elle est lourde la mienne !
— Je vois. Viens, je vais te la porter jusqu’au guichet.
Chemin faisant, je regarde la fillette sautiller de joie vers son père. Je crois que j’étais aussi enthousiaste qu’elle, à son âge avec toute l’excitation que les mots voyages et avions pouvaient susciter en moi. Et plus encore sans doute le mot décollage, le moment de l’envol vers le ciel. C’est le seul plaisir que j’ai conservé au fil du temps et des vols : me laisser happer par ce ciel et dominer stratus et cumulus !
— Tu me rends ma valise ?
— Oh ! excuse-moi, j’avais déjà la tête dans les nuages.
La fillette rit et me remercie par un « bon voyage, alors ! »
Que je lui rends.
* *
*
Curieusement, c’est un Diégo taciturne, grognon, bougon, renfrogné, qui est là à m’attendre dans la salle des pas perdus, à Roissy. Atrabilaire à souhait, refermé sur son banc.
— C’est pas trop tôt ! On y va ?
— Bonjour l’accueil !
— On y va ? Ch’ui crévé. Faut qu’je dorme.
— Okay, tu m’expliqueras plus tard.
— On y va ?
— Si, si. No pRRoblemo, don Diego Hijo de Suaro ! J’ai bien roulé le « r », non ? Mais au cas où ça aurait pu t’intéresser, je vais bien, et le vol Barcelone-Paris s’est bien passé.
— M’en fout… On y va ? J’veux dormir ! Tout ce bruit… c’est un cauchemar.
— Toi, tu as ta tronche téquila, ou un truc du genre ! Et ton humeur de j’en veux encore, mais j’ai tout bu ! Je te connais, Diégo. Tu sais que je te déteste quand tu es comme ça ? Fais chier ! Dire que je me faisais une joie de te retrouver et de faire un vol sympa.
— Ça s’ra sans moi… j’veux dormir !
Vol de onze heures en vue, et la nuit qui va vite tomber… je m’ennuie déjà !
* *
*
Ma crainte était fondée ; restons polis… je me suis terriblement ennuyé. Et Diégo qui roupille encore. Même pas pu voir les étoiles. Face à ma réticence à vouloir fermer le volet du hublot, le steward m’a cafté à sa cheffe, la plus pin-up des hôtesses. D’un sourire feint à souhait, elle m’y a obligé du regard et d’un « vous allez gêner les passagers qui veulent dormir ».
Gnin gnin gnin. Ben voyons ! Dans le ciel ! La nuit ! Ces serveurs sont décidément toujours aussi surs d’eux au prétexte qu’ils travaillent dans un bistrot-cantine-motel volant.
Un peu bar de nuit, aussi ; parce que les autres, deux rangs devant, avec leurs bouteilles de champagne ostensiblement demandées et leurs vannes ostentatoirement lâchées… nous ont longtemps tous gonflés. Ce n’est qu’au moment où les regards rivés sur eux passaient d’ulcérés à meurtriers que la pin-up-cheffe a lâché son bullmastiff de steward bodybuildé-pomponné.
Oups, ce n’est pas tout, l’atterrissage est pour bientôt ; il faut que je réveille Diégo. Durant tout le vol, j’ai prié le dieu du chaos pour que chaque turbulence le réveille, en vain. Nada ! Que dalle ! Maintenant, j’espère seulement qu’il sera plus éloquent qu’il y a quatre heures. Sa vessie a eu beau le sortir furtivement de sa léthargie, le temps d’une vidange, ce fut sans un mot dit. Maudit fus-je. Enfin… sans un mot digne et audible dit, « digue dondaine, digue dondon ». Tiens, l’idée d’arriver me remet de bonne humeur !
Ah ben non, pas besoin de le réveiller ! Son douzième sens l’a fait. Il est franchement incroyable. Comme à chaque fois il me surprend et m’épate. C’est son côté charmeur ! Encore que pour le charme il n’a pas besoin de ça, il a tout ce qu’il faut, et plus.
— Ah, mais tu es là ? Tu vas bien ? Tu as fait bon voyage ?
— Franchement, Diégo, tu ne manques pas d’air !
— Ben quoi ?
— C’est ça, oui.
— Mais qu’est-ce que j’ai fait ?
— Rien. Le principal c’est de retrouver enfin ta gueule de Diégo.
— Pfff.
— Tu m’en dis plus sur mon grand-père et le soi-disant « trésor » ?
— Non. Pas envie. Pas maintenant. Tu as vu la côte, là ?
— Change bien de sujet. Sacré toi, va !
De notre place, je ne peux pas voir le Morne, LE rocher mauricien, celui qui symbolise peut-être à lui seul l’île Maurice, en arrivant par le ciel. L’avion s’incline sur la gauche, pour virer et remonter la côte au vent jusqu’à Plaine Magnien, où l’on atterrit.
La plaine est là, justement, s’étalant jusqu’aux montagnes. La vue est peu spectaculaire, comparée à celle offerte en arrivant à La Réunion, encore bien française, elle ; contrairement à Maurice, l’ancienne Isle de France, devenue un temps anglaise après 1814.
La platitude de mon enthousiasme n’a pas d’écho autre que l’égal détachement de Diégo. Puissant contraste avec la horde néo-arrivante agglutinée aux hublots, car, comme dans la plupart de ces vols « exoticotropicaux », celle-ci est en effet aussi excitée qu’un cardinal mauricien devant une femelle. Pas d’égarement, s’il vous plaît. Pas de soutane volage ou de calotte libertine, ni de machisme primitif. Je parle de l’oiseau ! Une des rares espèces endémiques qui a survécu jusqu’à maintenant sur ce bout de terre. Face aux « waouh, tu as vu la couleur de l’eau » et autres waouh tu as vu les plages, tu as vu… qui fusent un peu de partout autour de nous, pas difficile d’imaginer que la destinée de l’avifaune locale ne titille pas beaucoup d’esprits à cet instant, dans cet avion. Moi, si ! Je ne peux m’empêcher de penser au Dronte, fabuleux oiseau disparu. Gamin, ce Dodo de l’île Maurice me faisait rêver, comme le Moa de Nouvelle-Zélande, ou ailleurs le mammouth, l’auroch et tant d’autres.
— Et voilà. Nous atterrissons sur la piste de Sir Seewoosagur Ramgoolam, dis-je.
— Qu’est-ce qu’il nous dit là, le Juan ?
— Attends. J’évite de trop parler quand ça freine dur, tu devrais le savoir.
— Tu vas gerber ? »
— …
— Y a-t-il un passager dans l’avion ?
Silence prolongé avant de pouvoir répondre.
— Non, je ne gerbe pas ! Je ne gerbe jamais. Je ne sais pas gerber. Et ça aussi tu le sais.
— Et donc, on est chez qui, là, tu disais ?
— Chez le premier ministre qui a dirigé le pays en 1968, après les Anglais, à l’indépendance : Sir Seewoosagur Ramgoolam. Trêve de plaisanterie, c’est le nom de l’aéroport.
— Tu as passé combien de temps à bouquiner avant de venir ?
— Du temps ! Et tiens… regarde le nouveau terminal. Chouette, non ? 140 000 tonnes d’acier tout en prouesses. Et c’est une boite française qui l’a conçu. Ça en jette, non ? Même l’A380 peut atterrir ici !
— En parlant d’avion, tu as vu l’air mauritius, à côté de nous ?
— Ah oui. Et Mauritius vient de Maurice de Nassau, Prince d’Orange, dont les Hollandais ont…
— STOOOOP ! Ça me gonfle.
— Inculte ! En plus, quelque chose de bien plus convaincant que mon petit doigt me dit que tu connais tout ça mieux que moi.
— Va savoir, répond-il avec un rire en clin d’œil et plein de dents blanches.
Je ne suis pas mécontent de moi. J’ai retrouvé Diégo. Mais maintenant que nous sortons de l’avion, je m’étonne de son pas pressé. Je le suis, sans broncher. D’un coup il s’arrête et me désigne un avion, là, sur le tarmac, prêt à partir.
— Quoi ?
— Qui ?
— Pas de questions, tu le sais. Je vais me renseigner pour savoir si l’avion venait de Djeddah. On se retrouve tout à l’heure à l’appart. C’est quoi déjà le nom ?
— Mount View Apartments, à l’entrée sud de…
— C’est bon, je trouverais. »
Bon ! Heureusement que je connais Diégo comme moi-même. Surement mieux, d’ailleurs. Et que nous avons travaillé de cette façon durant des années. On verra tout ça le moment venu. Après tout, il a bien raison de me renvoyer l’ascenseur de temps en temps. Surtout que cette fois, c’est lui qui sait. Du moins… le croit-il.
J’arrive à m’enfourner dans un taxi en moins de 10 minutes, avant que la foule ne déboule du carrousel à bagages. Tant mieux ! Iinutile d’être trop en vue dans ce contexte.
Coup de patin, le chauffeur pile pour éviter la voiture blanche qui lui passe sous le nez en quittant l’aéroport, et peste en « chez pas quoi », peut-être en hindi. Tiens donc, surprise ! Qui est au volant ? Diégo, seul ! Le petit malin m’a mené en barque. Il savait qu’il me laisserait comme un flan ; c’est une voiture de location, donc il l’avait réservé à l’avance, nécessairement. Il savait que l’avion Sauda serait là. C’est un bon, il n’y a pas à dire.
À l’instant, ce qui me gêne, ce ne sont pas ces cachotteries de bonne guerre, mais ces mecs, assis sur les bancs, et qui ont regardé passer Diégo avec insistance. L’un se lève maintenant et part très vite. Hasard ? Le taxi le dépasse et j’en profite pour bien regarder et mémoriser sa tronche. On ne sait jamais.
* *
*
Le trajet jusqu’au logement est facile, par la A10 et la M2. En moins de 45 minutes, on traverse toute l’île de sud-est à nord-ouest pour rejoindre Port-Louis. En même temps, une lentille d’eau d’environ cinquante kilomètres de diamètre au milieu de l’océan... on a vite fait d’en faire le tour. Mais avec 700 habitants au kilomètre carré, j’imagine à quel point on doit se marcher dessus. Rien que d’y penser, j’ai envie de filer direct en Lozère !
Le taxi s’arrête. Me voici arrivé. L’immeuble est à la périphérie urbaine, tout en étant près du port et du centre-ville, presque à l’angle de Malpin Street et Mgr. Leen Street ; et au pied d’un relief marqué et vierge d’habitat que j’avais repéré comme étant la Montagne aux signaux, the Signal Mountain ! D'où le nom du logement : Mount View Apartments. Nous y grimperons ce soir, car la vue synoptique sur toute cette partie occidentale de l’île doit y être magnifique. Qui sait, au coucher du soleil nous aurons peut-être la chance d’y voir l’étonnant et si furtif rayon vert, sur l’horizon océanique.
En me retournant, changement de spectacle : le bâtiment est très laid, à mon goût. Sauf qu’en y entrant, les lieux apparaissent nickel, et calmes. Pas certain que beaucoup d’appartements soient loués. En franchissant la porte du nôtre, au dernier étage, c’est impeccable et bien équipé, avec un balcon ouvert sur l’océan indien et les nuages caracolant dans le ciel. C’est fidèle aux photos vues sur le Net, heureusement, car nous fuyons les vues ville, murs, trottoirs, et bruits inclus.
À peine le sac posé, mon blablaphone se met à vibrer. Un message de Diégo ! « RDV à SBM Fountain, place d’Armes, 18 h sans faute ». Qu’est-ce qu’il va encore me réserver ? Machinalement, je regarde ma montre. 12 h 10 ! DOUZE HEURES DIX ? Ah le salopard, il va me planter là tout le séjour ou quoi ? Et qu’est-ce que je fais, MO-A ? Accompagne-moi qu’il m’avait dit. Je veux bien, mais encore faudrait-il qu’il ne s’évapore pas à tout instant.
Oh et puis zut ! J’ai vu une supérette non loin de là. Je vais y acheter de quoi remplir le frigo, manger un brin et surtout boire, puis faire une méga sieste, vu que je n’ai à peu près rien dormi. Non, mais !
* *
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17 h 40. Je ne pensais pas arriver si tôt. Il m’a fallu à peine vingt minutes pour venir à pied à la Place d’Armes, depuis l’hébergement. Plus exactement à la SBM Fountain, en front de mer, dans l’axe de ladite place. Franchement, en guise de fontaine, c’est plutôt un attrape-touriste. Apparemment, si j’en crois les commentaires du couple qui est là, un « incontournable » spectacle aquatique et musical, essentiellement avec jeux d’eau et de lumières, façon Las Vegas, au milieu de cette partie du port… mais sur fond de silos ! Tout ce que je déteste ! Heureusement, ce n’est pas en fonction maintenant. Le soir, sans doute.
Côté place d’Armes, comme partout où je les vois, les nombreux et spendides Roystonea regia me fascinent. J’avais de beaux spécimens de ces palmiers dans mon jardin guadeloupéen. Ici, ils arrivent à me faire oublier la banale laideur des bâtiments hétéroclites qui s’étalent devant moi, et c’est tant mieux. Le port altier de ces palmiers royaux est simplement fascinant et leur déhanché de palmes au souffle doux de l’alizée me ravit encore plus.
Ah, enfin ! Voilà le Diégo qui se pointe, droit sur moi, d’un bon pas.
— Vite, il nous faut repartir à l’aéroport.
— QUOI ? Mais tu déconnes !
— Viens, je te dis, il faut retraverser l’île. La bagnole est là-bas.
— C’est quoi cette affaire ? On ne se pose même pas ?
— Mais non… fais pas cette tronche, on ne reprend pas l’avion. On doit se rendre à Mahébourg, et c’est la commune à côté de celle où se trouve l’aéroport. Donc, ne râle pas s’il te plaît. Je suis présent maintenant, avec toi ; c’est bien ce que tu voulais.
Seul un flasque eh bien allons-y m’échappe entre deux TRES GROS SOUPIRS !