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Ce texte participe à l'activité : La rupture

« Aimer, c’est s’inventer une religion dont le dieu est faillible » (Borges) 

 

On dit que la fin d’un amour est déjà contenue dans ses premiers instants. C’est possible, oui. 

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Un 28 août. On vient de déménager. Mon père est militaire, alors c’est fréquent. Avec Ambre – c'est ma sœur, à peine plus jeune - on cherche l’arrêt de bus. C’est bientôt la rentrée.  

Puis Luc il déboule, sur son vélo rouge.  

Depuis on ne s’est plus lâchés. J’ai 27 ans. Vous imaginez. 10 ans bientôt.   

C’est le jour de notre rencontre qu’on fête toujours. Pas mal de temps j’ai cogité, - et j’ai su : le Baiser de Rodin. Je dois lui trouver une de ces miniatures en marbre.  

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Un week-end frangins – frangines. Sans les conjoints ou les copains. On a bloqué la date. Et nous y voilà. J’ai la banane. C’est pas mal une parenthèse intra-fratrie. 

On s’dit tout. Ou presq’. Alors je leur raconte. 

Mon cadeau pour Luc, cette reproduction miniature. Nos 10 ans lundi. Alors je leur raconte. Le baiser. L’amour interdit les amants maudits. Et un brin de Dante. 

La passion Camille-Rodin. Le marbre qui vit. Un baiser deux âmes - caresse belle humaine sculpturale ! 

Et le rêve, - une angoisse. On frissonne d’amour comme on chuchote de peur. Rien de plus brûlant de plus candide. 

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Je vois leurs regards en biais aux trois. Ambre Rose et Hugo. Je les gêne. Je ne me pose pas de questions. Ou je refuse d’en poser. 

Je me dis que c’est la faute à mes mots. Ces mots passionnés alcoolisés. Alors je me tais. Et à mon tour je les écoute - mes p’tits frère et sœurs, le temps qui reste. 

Fin du week-end. Un sentiment plein cœur - un peu spécial. Mon frère me dépose chez moi. “Ne t’en fais pas, j’suis là” il me dit.  

Je pense qu’il a compris qu’avec Luc. Luc mon cycliste au vélo rouge. Ou c’est autre chose. Je sors les clefs. J’ouvre. L’appart dégarni. L’appart à moitié vide. 

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Brutal ? Si je veux être honnête, non. À petit feu. Anticipé mais presque sauvage. Une décapitation. Amour défait et tête en vrac qui dit non. 

Pourtant. Tu sais. Un lien finalement pas adapté. Et un couple qui pèse. Rupture prolongée.  

Je ne suis pas la bouche de Francesca ou de Camille. Pas même la bouche de Pénélope. Je suis juste la toile.  

Oui, la plaie pourrait cicatriser. Ta forme sur ton vélo pourrait se perdre – devenir un détail dans mon paysage.  

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Sans ces mots sur un bout de papier. “C’est ta sœur c’est Ambre que j’aime. On s’aime”.  


Publié le 21/02/2022 / 5 lectures
Commentaires
Publié le 21/02/2022
Ah l'amour, qu'est-ce finalement? Un frisson pris au piège de l'habitude (s'il dure).. Comment aimer et qui aimer? L'amour une extension de l'amour de soi.. Mais ton amoureux dans sa missive assassine et son manque d'humanité ne doit avoir pour destinée que l'oubli. Il y a beaucoup de "la mort à crédit" dans ton style. J'aime toujours autant
Publié le 22/02/2022
C'est sans doute un peu aussi un saut sans filet, mais combien bon :) Quant à la couardise de l’amoureux, il lui a - au moins - épargné le sms ;) Merci mon cher Fabien. À quand de te lire ?
Publié le 21/02/2022
C'est parfait ! Cette idée de la rupture brutale mais qui finalement était pressentie et la trahison finale. J'adore!
Publié le 22/02/2022
J’étais mal à l’aise face au sujet. C’est ta participation une fois de plus qui m’y a encouragée. Je suis contente si la fin t’a embarquée. Merci vickie :)
Publié le 21/02/2022
J'imagine certains peintres jeter des traits vifs aux couleurs variées. Sans hésitation, ils en terminent certains, d'autres pas. Mais tous se rejoignent dans un tout plus ou moins limpide, plus ou moins mystérieux. Des gouttes de couleur jonchent le sol de l'atelier, irrémédiablement perdues aux yeux de la postérité. Pourtant ces déchets, ces tâches, ces plaies et ces saignements invisibles sont envisagés par celui qui regarde la toile avec attention, comme il est aussi possible qu'il les ait imaginés. Tu écris un peu comme ces peintres que j'imagine. Au delà de la forme, tu racontes une histoire tout à fait particulière qui est aussi, si on la transpose un tant soit peu, universelle. J'ai revu mon amoureuse rousse qui m'avait accordé une danse et un baiser dans l'espoir de rendre jaloux son "Bernard". Je m'autorise à dire son nanar. Je te remercie pour ce récit qui, en plus de tout le reste, me donne le thème que j'exploiterai et que je partagerai très certainement demain avec toi et avec nos autres amis ipaginéens. J'avais imaginé autre chose mais non, grâce à toi, ce sera bien mieux.
Publié le 22/02/2022
Pour le coup, tu me touches vraiment beaucoup. Je pense que lire, c’est mettre sa patte au fil des lignes. Alors quand j’écris, je jette - c’est vrai j’essaie ;) - des touches des couleurs des blancs. Je balance vers d’autres imaginaires. Je laisse la place. Le rêve c'est que chacun s’y trouve. Personn-age c’en est sans doute la base. Je guette le site aujourd'hui, j'attends ton texte :)
Publié le 22/02/2022
Je suis en plein dedans ! C'est pour vite ! ;-)
Publié le 22/02/2022
De la citation de Borges à cette chute phénoménale ton texte nous happe rapidement dans une spirale infernale. On évolue dans une galerie d’art aux références raffinées comme peut l’être le bonheur que l’on pense sacré. L’âme est au dessus et les murmures d’une fratrie conspiratrice ne suffisent pas à alerter sur le drame qui se joue. C’est très fort, j’aime beaucoup, beaucoup. Merci Allegoria.
Publié le 23/02/2022
C’est toujours difficile d’ajouter quoi que ce soit à tes commentaires. Ils sont concis, ils tirent en plein dans la cible. Dans les cibles, pour être plus juste. Et ça fait chaud au cœur. Alors merci pour ça :)
Publié le 22/02/2022
Si seulement les épreuves de la vie pouvaient devenir ainsi, après avoir rempli leur office. Alors l'héroïne (mais finalement chacun, chacune de nous) serait sur le bon chemin, avec cette ombre du passé sur son petit bout de vélo. Mais voilà, l'épreuve ne faisait que commencer et la phrase assassine, placée astucieusement à la fin du texte, laisse un vide autrement plus envahissant que cet appart à moitié vidé. Un texte qui continue à imprégner, même après le point final. Merci, Allegoria.
Publié le 23/02/2022
Particulièrement pour cette notion de vide. Quant aux ombres du passé, on dit à tour de bras que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. J’y crois pourtant. En tout cas, ces ombres dessinent peu à peu la personne qu’on est, en devenir permanent. Et ça - de mon point de vue, c’est beau et c’est riche :)
Publié le 23/02/2022
Oui il est vrai que le sms manque de superbe:). Dans les temps passés pour rompre on envoyait une lettre. Les duels c'était pas mal aussi pour laver un affront. :).. Ah tout se perd. Je reviendrai bientôt avec quelques textes. J'aimerais que mes journées soient plus longues.. Bien à toi chère Allegoria.
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