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Sapiens, une brève histoire de l'humanité

De Yuval Noah Harari

Chroniqué par Léo
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Lire « Sapiens » de Yuval Noah Harari c’est faire un voyage vertigineux de près de 100 000 ans, dans lequel une seule espèce d’hominidé va survivre et évoluer exponentiellement, la nôtre.

 

Avant de vous parler du livre il semble déjà important d’aborder la rigueur scientifique de l’ouvrage car ce qui m’avait gêné avant lecture c’était de lire l’avis de plusieurs anthropologues qui critiquent le manquement de sources pour documenter certaines affirmations. Et à la lecture de certains passages politiques constater également que certaines analyses sont plus de l’ordre de l’opinion personnelle (et souvent conservatrice) que de faits scientifiques démontrés. C’est ainsi que j’ai abordé cet ouvrage comme un essai afin de prendre ce que j’avais à prendre, et mettre de côté ce qui apparait comme plus léger, avec ainsi moins de frustration. 

 

Ceci étant réglé, on plonge dans le livre d’Harari avec curiosité et passion qui ne m’ont plus quitté jusque la fin du livre.

 

Le livre est organisé en trois révolutions majeures que sont les révolutions cognitive, agricole et scientifique et une quatrième partie qui traite de l’unification de l’Humanité dans laquelle on y retrouve notamment la création de la monnaie (qui à mes yeux pour avoir regardé pas plus tard que ce week-end sur Arte une magnifique série documentaire « La fabuleuse Histoire de l’argent » est une révolution également à part entière qui n’a d’ailleurs pas fini d’opérer), la religion, de visions impérialistes et conquérantes (permises d’ailleurs par la monnaie) et un zeste de philo.

 

C’est un voyage dans le temps fascinant qui nous est proposé et qui reprend étape par étape et palier par palier, ce qui relève de l’instinct (de survie pour commencer), du hasard, de l’observation et de l’expérimentation menant à des découvertes qui permettront à chaque fois de passer des caps déterminants ; évoluer ainsi jusque devenir le plus gros des prédateurs pour notre Terre, nos semblables et toutes formes de vies sur Terre.

 

On y découvre, l’importance de la solidarité par les liens sociaux à nos tous débuts, du tournant pris à travers le langage puis de l’écriture, et de façon totalement inouïe la puissance de la confiance en des récits (souvent fictionnels et frictionnels) entremêlés qui ont permis de faire exister par exemple l’hydre capitaliste plus puissante que jamais et qui ne cesse d’acculer un système pourtant à bout de souffle. Des récits qui évident la conscience et annihilent

Toutes formes de pensées et d’idées, qui en viennent jusqu’à créer de nouvelles formes d’intelligences pour nous exempter des nôtres dont on dit qu’elles pourraient nous supplanter et même conduire, pour les plus alarmistes, à notre extinction.

 

La force de l’imaginaire et du récit sont une chose, et il s’est ensuivi ce que l’on peut qualifier de génie humain, notamment à travers la prise de conscience de la toute puissance de l’énergie et de la matière dont tout reste à faire pour ne pas sombrer dans le chaos et une nouvelle forme d’extinction ; cette fois liée à notre incapacité à relever les défis environnementaux dont la nature nous fait déjà payer de lourds et sérieux avertissements.

 

Nous y découvrons aussi le chassé-croisé (ou destinées parallèles) des civilisations, des cultures, et avec elles des idéologies et l’avènement des religions dont Harari inclut d’ailleurs dedans certains modèles politiques qui sont aussi, nous pouvons l’admettre, de l’ordre de la croyance. Et là encore nous nous apercevons aujourd’hui que les tensions civilisationelles, culturelles et idéologiques peuvent mener, avec la puissance militaire et même atomique, une nouvelle fois à une nouvelle forme d’extinction.

 

Si le livre offre d’innombrables leviers de compréhensions pour mieux cerner la trajectoire qui nous a conduit jusqu’ici (et en cela je vous recommande sans réserve la lecture de ce livre), on est pris d’une angoisse certaine lorsque l’on prend conscience qu’en 200 ans seulement tout s’est prodigieusement accéléré au point que tout semble nous échapper de façon irrémédiable. Comme une machinerie folle livrée à elle-même dont on ne semble plus du tout avoir la maîtrise. Lorsqu’il a fallu parfois des dizaines de milliers d’années pour passer des paliers majeurs, nous en franchissons désormais presque tous les ans… comment pouvons-nous dans ces conditions mesurer les changements qui s’opèrent, de nous prémunir de toutes leurs conséquences qui s’entremêlent en autant de complexités qui n’ont pas fini de bouleverser notre existence.

 

Alors que la suprématie de l’Humain sur Terre n’est plus a démontrer, il m’apparaît à la lecture de l’ouvrage l’aveu que dans le fond, l’humain n’apprend que très peu de ses modèles passés (dont il a pourtant l’ensemble des récits et témoignages entre les mains), comme coincés en des boucles itératives qui reconduisent à l’infini les mêmes injustices, les mêmes exploitations de l’humain sur l’humain (et de tout le vivant), les mêmes formes de conflits… et les mêmes peurs (à commencer par celle de la mort à court terme) qui ne permet pas à l’humain de se projeter autrement que dans le récit immédiat par défaut. Un récit capitaliste qui s’est d’ailleurs structuré en de nouveaux états que sont les entreprises privées qui s’accaparent sous de nouvelles formes impérialistes (et souvent numériques) ressources et ce faisant, capacité d’agir. Le tout entre les mains de quelques uns, des humains comme vous et moi, érigés économiquement en de nouveaux dieux détenant de tous nouveaux pouvoirs, construisant à leur tour de nouveaux récits et d’adeptes sans qui rien ne serait.

 

De ce livre nait le vertige de ce qu’on y lit, et de tout ce qui s’écrit depuis (la première version date de 2014 et déjà l’existence d’une postface datant de 2022)… dans nos quotidiens anxiogènes qui ne le sont que parce que nous n’en mesurons pas encore les prochaines étapes qui semblent irréversibles. Une mécanique irrépressible enclenchée nourrit par notre fascination et les fantasmes qu’elle nourrit (qui ne rêvent pas de l’éradication du cancer, de la jeunesse quasi éternelle, d’un confort permanent etc…).

 

Et je me dis qu’après tout ce voyage collectif que ce livre permet de synthétiser, qu’il nous faut poursuivre le travail de fond, intérieur cette fois, qui doit nous conduire à une meilleure compréhension de nous-même et du sens que nous voulons donner à nos existences et notre devenir commun.

 

Est-ce que l’IA, à qui l’on a donné et que l’on nourrit en ce moment même du cerveau de millions voire milliards de personnes connectées, va permettre cette révolution qui nous conduira au chaînon manquant qui ne nous a toujours pas permis d’accéder à une nouvelle forme d’évolution ? Au vu de toutes les luttes qui s’activent en ce sens via celles et ceux qui disposent des moyens nécessaires pour nourrir cette ambition, on n’est plus à l’abri de quoi que ce soit, pour le pire et dans le doute, pourquoi pas le meilleur.

Si vous l'avez lu, j'ai hâte de découvrir votre avis en commentaire. 

 


Publié le 01/12/2025