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Un jour d’école

Saut du lit 

Petit dej 

Toilette 

Vêtements 

Queue de cheval 

Sac au dos Lou est prête 

Départ à pied avec maman. Le “je” du récit.  

 

Attroupement devant la classe des plus jeunes. Lâcher d'enfants. Lou ravie devant maîtresse. Avec qui j’échange 3 mots. “Oui à tout à l’heure 10h45 c’est le groupe avec votre fille ce matin.” 

J’avance vite. La petite équipe des parents bavards devant la grille. Faites qu’ils ne me voient pas. Raté. “Hey ! Delphine on va chez V-i-n-c prendre un café tu nous suis ?” Faux sourire de l’asociale marginale – c'est moi. “Désolée je reviens d’ici 1h et demie pour la lecture. Ménage s’impose !” 

Mensonge. Absolument pas envie de ça. Je vais me caler sur canapé et me revoir un vieux film. Loin des bruits. Mi-temps pas vraiment indispensable. Mais je m’en fiche. Choix du film. HDMI3. DVD inséré - compliqué de trouver du Keaton autrement. Café. Canap. Corps détendu. Touche ON.  

La figure de Johnny - un keaton élastique - la figure de sa locomotive et celle de son Annabelle. Mise en scène géniale. C’est drôle une fois la fiancée libérée. Série de maladresses comme il se doit. Je rigole sous cape. Pas un mot, musique, et sourires. Trio gagnant. The end. C’est l’heure d’y aller.  

 

Ce sont 8 p’tits bouts grands yeux ouverts assis en tailleur et arc de cercle. Et fusent des “maman de Lou maman de Lou”. Jusqu’à ce que Mathis fasse “chuuut” l’index tendu devant sa bouche : “on lit quoi aujourd’hui ?” il demande. Lou a la banane jusqu’aux oreilles. Elle sait. 

Je montre la couverture. Et prononce syllabe après syllabe comme si je disais un secret : “J’ai rêvé que..." Et je commence. “J’ai rêvé que mon nounours était vivant.” C’est la seule phrase de la page. Première année de maternelle. Je retourne l’album montre l’image.  

Je leur dis “regardez ! qu'est-ce qu’ils font le petit garçon et son nounours ? qu’est-ce qu’il a dans la bouche le petit garçon ? et le nounours qui sourit qu’est-ce qu’il a sous sa truffe ?" Ça fuse à nouveau de partout. Et je souris. “L’un après l’autre s’il vous plait. Rémi dis-moi.” 

Je retourne le livre. 2ème page même rituel. 3ème 4ème page, 5, 6, 7 … 32. “Et puis je me suis réveillé” page 33 point final sans image. Je lève les yeux. Et je dis “à votre tour".  

 

“Camille tu rêves de quoi ?” Elle répond tout heureuse “Je rêve que les nuages ils sont roses". 

De la maîtresse qui dit des bonnes blagues comme grand-père pour Rémi 

De mon arbre magique mais il est vraiment magique pour Héléa 

D’une super voiture qui va à 1000 à l’heure pour Thomas  

De maman ce soir elle me fait un câlin pour Mathis 

Du papa noël qui vient tous les jours pour Lou 

De peindre tous les murs de l’école pour Marine 

Des frites tout le temps même le matin le midi le soir pour Philo

 

Retour chez moi. Après-midi comblée. Et sortie des classes. Même tempo. Attroupement devant la classe des plus petits. Lâcher d'enfants. Lou ravie de retrouver maman. Et... Mathis se précipite derrière Lou sous les yeux surpris de la maîtresse... “Y a maman” il dit le doigt tendu vers moi. 

La maîtresse répond baissée vers lui “mais non mon petit chéri, tu vas jouer un peu à la garderie et ton papa va venir te chercher.”  Lou demande si Mathis il peut venir goûter à la maison. “Désolée Lou on n’a pas la permission de son papa”. Alors Mathis vient claquer un bisou sur la joue de Lou. 

Les voilà partis chacun de leur côté. Et Lou sautillant la joue toute rose. Et Mathis la tête bien loin. Je ralentis un peu sans y penser. Déboussolée. La maman de Mathis a une sale maladie elle est hospitalisée depuis un moment. Elle ne s'en sortira pas. Et je repense au rêve de Mathis.   

Lou a pris de l’avance déjà. “Lou attends moi arrête toi avant le parking". Elle se retourne court et me saute dans les bras. Je la sers fort et claque à mon tour un baiser sur l’autre joue. 

 

Parents qui bavardent les enfants tirent les jupes les bras ou tapent les cuisses.  

Ils ont faim c’est l’heure du goûter.  

 

Cette fois-ci j’ai bien l’intention de ne pas me faire voir.  

Grandes enjambées rapides. J’ai Lou encore dans les bras je fais “vrouuuum vrouuuum”.  

 

Et Thomas hurle “heeey y’a maman de Lou qui fonce comme une voiture à 1000 à l’heure.”  

J’hésite : rire ? pleurer ? j’avance plus vite. 

 


Publié le 16/11/2021 / 2 lectures
Commentaires
Publié le 16/11/2021
Joli texte, j'adore la description des enfants à l'école, des élèves de maternelle et de leur enthousiasme face à la lecture! J'aime bien l'idée si réaliste du "j'ai autre chose à faire" pour rester finalement dans le canapé: tellement vrai, lol! la petite histoire d'amour entre les deux enfants aussi c'est très mignon. En bref j'adore!
Publié le 16/11/2021
Oui, leurs réactions face aux livres à cet âge-là c'est vraiment chouette ! J'ai pris beaucoup de plaisir à imaginer ce moment de lecture ;) à très vite
Publié le 16/11/2021
Moi c'est cette prose si personnelle, vive, tranchante, qui va pêcher l'air de rien dans l'eau de l'émotion. C'est abouti, ça fonctionne tout le temps. C'est comme un train qui roule... tchac, tchac. Vous me mettez le frisson à chaque coup Allegoria. Et pourtant, je ne suis pas facile à attraper. Je dissèque les mots, en bon écrivain, je cherche quand même un petite faille, une brèche pour la critique, et je ne trouve que du délicieux. Un pur joyau à lire.
Publié le 16/11/2021
"C'est comme un train qui roule... tchac, tchac." Joli clin d’œil ! J'ai commandé votre livre. Je m'attends à pas mal de frissons aussi :)
Publié le 16/11/2021
J'espère que vous en apprécierez la lecture. Mais je vous promets quelques moments d'émotions :). Merci chère Allegoria
Publié le 16/11/2021
C'est un beau portrait du "je" en reine de l'esquive. J'aime lire votre course. J'aime vos tentatives d'esquives pour échapper "aux bavards de la grille". Le côté caméléon, le mode "furtif" à la sortie des classes comme à l'entrée: je m'y retrouve. "J’hésite : rire ? pleurer ? j’avance plus vite".
Publié le 16/11/2021
Pour tout dire, cette "reine de l'esquive" c'est plutôt Delphine ! Mais si vous m'identifiez à elle, si vous vous identifiez à elle, c'est qu'elle a sa part de réalisme :)
Publié le 17/11/2021
Jour de lecture avec les enfants de maternelle et pourtant.. malgré la joie et l’insouciance que ces enfants portent , le cœur est lourd. Le rêve de Mathis ne se réalisera pas et cette gaieté et l’insouciance des enfants contraste avec la dure réalité . Plutôt envie de pleurer et de presser le pas.. » à mille à l’heure ». Merci pour ce beau tecxte!
Publié le 17/11/2021
Pour votre lecture du texte qui le résume si bien :)
Publié le 17/11/2021
Un beau moment de vie... que tout le monde pourrait connaître... émotion garantie de nouveau... avec les enfants qui s'aiment, qui imaginent qui rêvent et la maladie de la maman du petit qui tombe comme une bombe...Kissous
Publié le 19/11/2021
De ta lecture. Il y a ce plaisir ce cadeau de vivre ces sourires d'enfants, et en parallèle la tristesse face aux moments terribles auxquels la vie peut nous confronter. Kissous
Publié le 17/11/2021
J’aime le rythme, ces phrases courtes pour fuir encore plus vite un monde superficiel et ennuyeux. La référence à Buster Keaton, un autre temps, du silence et du talent pour exprimer sans dire. Et puis ces rêves de gosses plein les caboches et les cœurs, de l’insouciance et des passions innocentes, et tout aurait pu être gâché en se rendant dans l’antre du commérage et des faux semblants. À lire ça semble simple à écrire mais ça ne l’est pas , alors bravo et merci Allégoria, très réussi, j’aime énormément.
Publié le 19/11/2021
Votre analyse si juste me met face au texte droit dans les yeux : à quel point Allegoria - en l’occurrence moi - suis-je si différente de cette équipe de parents bavards ? En dehors des sourires d'enfants et de ceux du mécano, je partage sans doute ici jugement et médisance par ce regard qui fuit(e)...
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